Joseph KESSEL – Ami, entends-tu…
Propos recueillis par Jean-Marie BARON
Quand on naît en Argentine puis que l’on passe son enfance dans l’Oural, la vie a déjà pour certains un petit air d’aventure. «La Pampa, les chevaux indomptés, les gauchos, les barbecues de bœufs entiers, l’enlèvement des filles.» Puis Nice et la Côte d’Azur, puis la capitale et les premiers papiers de journaliste. Des papiers « d’atmosphère » mal payés, e attendant les grands reportages à venir et dont Kessel fera l’une de ses spécialités.
Ces dialogues de Kessel avec le jeune journaliste qui l’écoute balayent toute la vie du reporter. Retenons quelques rencontres marquantes, parmi d’autres. La rencontre avec Henri de Monfreid, l’homme qui a permis d’incroyables aventures sur des mers orientales, sur des embarcations à voiles dont l’une, «petite et carrée, sert uniquement à fuir devant la tempête, et qu’on appelle la fortune carrée.» La rencontre avec les Tziganes, de leurs musique, de leurs chansons à la fois poétiques et violentes, et avec qui «il n’était pas possible de rester sobre.» Les nuits de fête à Paris dans les cabarets russes, avec force vodka, avec le fils de Tolstoï ou d’autres mois célèbres.
Kessel, qui avoue avoir longtemps obéit à ses instincts, à ses désirs, de façon parfois excessive, qui reconnaît avoir abusé du jeu, de l’alcool, des drogues, résume ainsi la (sa) vie: c’est un peu «les hasards, les rencontres, les absurdités, les drames, les espoirs.» Ce recueil de textes permet de faire le tour de cette vie passionnante faite de voyages, de rencontres, d’aventures, des plus futiles aux plus risquées.
«Se dit poète…» c’est la mention qui figurait sur sa fiche détenue par les Renseignements généraux. On peut trouver plus banal, plus commun.
Joseph KESSEL – Vent de sable
«Je m’attache moins à peindre les régions désertes et monotones vues d’une carlingue et les terrains arides où s’est posé notre avion que les hommes qui les survolent d’un cœur franc et joyeux.» Dans Vent de sable, écrit à la suite du voyage qu’il fit sur la ligne Toulouse – Casablanca – Dakar, ligne mythique ouverte en juin 2005, Kessel raconte les pionniers de l’aviation civile – dont Mermoz et Saint-Exupéry – et les prodiges quotidiens dans le noble but de transporter le courier. L’Aéropostale.
L’Aéropostale. Trente six heures de Toulouse à Dakar. L’Amérique du Sud en huit jours. Un vol intercontinental initié par Latécoère. Difficile à imaginer aujourd’hui. Et pourtant. «Le vertige de la vitesse, le sens du danger»; danger des atterrissages forcés dans des zones désertiques où règnent les Maures et ou la vie ne vaut pas toujours une rançon; danger des disparition dans la brume et en mer, où la vie n’est plus qu’un souvenir pour les autres pilotes. Et pourtant la magie. «L’élan terrible du moteur… la terre qui vous abandonne, vous libère, s’aplanit, s’élargit, devient une carte…»
Kessel raconte aussi les moments d’hommes de ces aviateurs, qu’il compare aux soldats du front. Liberté d’allure et d’esprit. « Leur travail périlleux achevé, ils étaient net de tout souci hors celui de s’amuser.» Les boites de nuit de Casablanca; Agadir et son quartier réservé. Puis il faut repartir, vers le sud, le fort blanc de Rio de Oro, ou vers le ord, d’étape en étape, longer la côte, ou survoler le Bled. Avec le ciel bleu ou la tempête de sable. Selon les jours. Mais toujours livrer le courrier. Un passionnant roman d’aventure, et des portraits, dont celui de Mimile, ou Emile Lécrivain, l’un des héros de cette aventure.