«Transboréal est une maison d’édition indépendante qui veut promouvoir le travail d’auteurs, d’illustrateurs et de photographes ayant fait preuve d’abnégation ou de courage lors d’études ou de voyages au long cours marqués par une réelle connivence avec le milieu humain ou le monde naturel.» Les récits de voyage représentent la quasi totalité de la production. Voici deux exemples puisés dans la nouvelle collection La Clé des champs, et un entretien avec l’éditeur.

Julie SIBONY – Méditerranée – Un an de route et d’échanges

Entre août 2004 et août 2005, Julie Sibony effectue le tour de la Méditerranée en camionnette avec son amie de lycée Axelle Hutchings pour s’interroger sur l’identité méditerranéenne : 33 000 kilomètres parcourus, 20 pays traversés et pas moins de 85 objets troqués.

Méditerranée est plus un reportage qu’un récit de voyage, dans le sens où nous sommes bien avec l’auteur là où il est  mais pas vraiment dans ses pensées. En dehors du texte qui la présente, nous n’apprendrons pas grand chose sur l’auteur ni sur ses états d’âme. Sinon ceci:

«Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi de faire le tour de la Méditerranée en camionnette, sans quitter le plancher des vaches: je n’ai pas, mais alors pas du tout le pied marin.»

Reportage, donc, avec comme point de départ un parcours choisi: les pays qui bordent la Méditerranée – soit le même parcours, en gros, que celui que Paul Theroux raconte dans Les Colonnes d’Hercule ou les routes que Marc Roger décrit dans Les Chemins d’Oxor – et un principe, une belle idée: troquer un objet symbolique de cette supposée entité, de main en main, de ville en ville, de pays en pays. Le résultat: un an de voyages, 85 objets troqués, et 85 portraits. Et un récit.

Dans ce récit il est donc surtout question de rencontres. L’auteur a toujours été à l’écoute de la vie quotidienne, dans toutes ses composantes. Julie la nomade ne pouvait manquer de rencontrer d’autres nomades. «Nomades, les charpentiers de marine le sont par définition. Autrefois ils étaient embarqués et ils réparaient en mer; dans la hiérarchie navale, le charpentier était le cinquième homme le plus important à bord. Aujourd’hui ils continuent à voyager de port en port, pour une simple question de mobilité: le charpentier est plus facile à déplacer que le bateau, il n’a besoin pour bagages que de sa caisse à outils et de son savoir-faire.» On peut lire ce livre comme il est prévu de la faire, du début à la fin, dans l’ordre des pages, mais on peut aussi faire le tour de la méditerranée avec les seuls titres des chapitres, qui résument tout: bateaux; diaspora; table; femmes; hospitalité; frime; flânerie; croyances; identités; frontières; etc., ou, pour l’ambiance, lire d’abord les vignettes qui décrivent les objets troqués et surtout pourquoi ils ont été choisis. Il s’agit évidemment à chaque fois d’un objet très symbolique de la région, du plus simple au plus riche, du plus éphémère au plus ancien, comme par exemple un pain, une nappe, un pichet, des boucles d’oreille, une statuette, un pavé… Julie SIBONY est aussi une photographe, et cela se sent dans ses descriptions de lieux et de paysages. Séville. «Ici les cathédrales ont des minarets e guise de clochers, et le centre historique est entouré de remparts bordés de palmiers qui n’ont rien à envier à ceux de Marrakech. Les ruelles sont aussi étroites et tortueuses que dans la médina de Fès, et la maison sévillane typique s’organise autour d’un patio rafraîchi par une fontaine, tout comme les riad marocains. Partout, arabesques et azulejos rappellent la période arabe de la ville.» Ce récit est une promenade géographique et culturelle, à travers des rencontres souvent très ancrées dans la réalité et dans un environnement local, ce qui donne au premier abord une idée du grand désordre de cette entité géographique que l’on nomme «Méditerranée», et de sa «culture», puis, au fond, la réalité se dessine sous la forme d’un patchwork, un assemblage à première vue hétéroclite, mais qui donne à la fin une impression de cohérence. Peut-être par ce qu’il y a quand même quelques dénominateurs communs. Le blé, la vigne, le thé ou le café, selon les endroits, sont des emblèmes communs à cette entité géographique. Mais existe-t-il un dénominateur commun à tous ces pays? Selon Julie ce serait «l’olivier, dont le feuillage argenté recouvre les plaines et les collines. Il est le marqueur incontestable, objectif, quantifiable du monde méditerranéen.» Une mention pour la maquette assez «enlevée» (selon les termes de l’éditeur) de cette nouvelle collection. Format carré, de taille intéressante, caractères bien lisibles, texte page de gauche, photos page de droite… Très actuel. Une réussite.

Flânerie – L’heure de tous les regards

«Il est 19 heures, et le soir tombe sur la Méditerranée. La lumière baisse, la chaleur aussi. À Naples, Athènes, Séville, on en profite pour prendre un peu le frais : un tabouret en osier, une chaise en bois, un banc public, et la rue devient une annexe de la maison. Sur les campi de Venise, de petits attroupements se forment, où tous ont un verre à la main : c’est l’heure du spritz, l’apéro local. La Strada Nova, seule rue large et à peu près rectiligne de la ville, s’ouvre à la passeggiata. Prenez-la à un bout pour avoir toute la longueur devant vous, et marchez l’air de rien. Un peu moins vite : ce n’est pas la destination qui compte, c’est le chemin. Pas trop lentement non plus, sans quoi vous risqueriez de paraître désœuvré. Tout est dans la cadence : résolue mais disponible, absorbée mais décontractée. En version espagnole, ça se passe sur les Ramblas de Barcelone et ça s’appelle le paseo. Arrivé à l’autre bout, faites demi-tour et recommencez en sens inverse. Combien d’allers-retours ? Tout dépend de la distance à parcourir. Le Stradun de Dubrovnik en mérite au moins six ou sept, tandis que l’interminable corniche de Beyrouth se contentera d’un seul passage. À moins d’opter pour le vélo. Mais attention, ça monte, et il faudra éviter joggers et rollers qui, walkman aux oreilles, resteront sourds à vos coups de sonnette. Sur le mail d’Alexandrie, étiré d’un bout à l’autre de la baie, vous devrez choisir : marcher vers la gauche ou la droite ? Vers le fort de Qaït Bey et le phare disparu, ou vers la toute nouvelle Bibliotheca Alexandrina, reconstruite à l’emplacement de son illustrissime ancêtre ? Et pour le retour : côté ville ou côté mer?

Albéric d’Hardivilliers et Matthieu Raffard – Nationale 7 – Un road-trip à la française

La Nationale 7 c’est un peu comme un conte. Alors je peux bien commencer cette chronique par «Il était une fois…» Il était une fois la nationale 7 et deux voyageurs, Albéric et Mathieu. Un jour ils décident de prendre la route. Dans tous les sens du terme, et même de la géographie.  Ils partent et, comme tous les voyageurs dignes de ce nom, se mettent en état de vacance, disponibles, à l’écoute des gens, des paysages, des histoires et des choses. Du coup, Nevers ou Montélimar deviennent aussi prometteurs et intéressants que Pékin ou Istanbul. Question de point de vue. Restait à voir sur place. Pour rester dans la métaphore photo, sur place et selon l’angle de vue, les panneaux publicitaires à la sortie d’Orange ressemblent étrangement à ceux que l’on trouvera sans doute près d’une ville du Kansas ou d’ailleurs. Ce n’est que plus évident quand on voit certaines photographies de ce livre, qui ne sont pas sans rappeler quelques tableaux de Hopper, qui n’est pourtant jamais venu à Magny- Cours ni à Varennes sur Allier. Des intérieurs désolés, des flippers qui attendent dans un coin, des pompes à essence, des anciennes voitures à l’arrêt. Seule différence: une Mercedes à la place d’une Cadillac. Toutes les photos de ce livre racontent des histoires, aussi bien par un portrait que dans un paysage. Le hasard ou la composition rendent certaines photos absolument superbes. Les sites s’y prêtent. Et l’oeil du photographe fait tout le reste. Les textes, de courts chapitres sur la page de gauche, comme le veut cette collection, sont le plus souvent consacrés aux rencontres, aux gens. Car au fil des kilomètres se produisent les rencontres les plus improbables, donc les plus belles, avec des gens ordinaires mais indispensables qui se confient volontiers et dont l’auteur fait le portrait. Des gens avec des tas histoires, ou, au contraire, pas assez d’histoires. Des gens comme vous et moi. En tout cas comme moi, qui connais bien ce centre de la France que je fréquente encore, en prenant ce qui reste de la nationale 7, en traversant ces mêmes villes et villages, mais sans avoir le regard, la présence d’esprit, le talent d’en faire un livre. Heureusement que d’autres s’en chargent. Collection La Clé des champs. Avec une postface de : Pierre Stragiotti. Éditions Transboréal 2008. «Entre les chambres d’hôtel, identiques d’Istanbul à Pékin, et toutes les voix que nous ne comprenions guère, nous finissions pas trouver à Roscoff et Saint-Étienne un caractère d’étrangeté aussi prometteur que Kashgar ou Aden. Nous avions envie de pouvoir réentendre les gens, de pouvoir rattacher les paysages à une histoire plus ou moins connue et l’idée d’un voyage sans exotisme, à l’exotisme défloré, ne nous déplaisait pas. Ce que nous voulions aussi, c’était retrouver la route et ses penchants : cigarettes cérémonieuses posées le long du jour comme des balises, vent chaud, cheveux poussiéreux, villes inconnues, et la chaleur surtout, qui brûle les derniers restes d’orgueil. Alors, quand il a fallu partir, nous n’avons pas hésité longtemps.»

Les éditions Transboréal : présentations.

E.V.Info – Combien de collections proposez-vous à vos lecteurs? Combien de titres sont-ils  actuellement disponibles? Transboréal – Cinq collections actuellement, sept à partir d’octobre 2008. 44 titres disponibles, 56 titres à partir d’octobre 2008. Combien de titres sont publiés chaque année? De 7 à 12 titres. Quelles sont vos meilleures ventes? Dans la collection de récits de voyage «Sillages», Par les sentiers de la soie, À pied jusqu’en Chine, de Philippe Valéry (15 000 exemplaires), et Dans les pas de l’Ours, Une traversée solitaire de l’Alaska sauvage, d’Émeric Fisset (15 000 exemplaires). Dans la collection d’albums photos «Visions», Spitzberg, Visions d’un baladin des glaces, d’Emmanuel Hussenet (6 500 exemplaires). Dans la collection d’albums illustrés «La clé des champs», Plumes des champs, Itinéraires paysans en Normandie, collectif (4 500 exemplaires). Dans la collection de récits de voyage anciens «Le génie des lieux», Œuvres autobiographiques, de Paul-Émile Victor (4 000 exemplaires). Dans la collection «Chemins de traverse» (anciennement «Chemins d’étoiles»), Imaginaires du Grand Nord, collectif (5 000 exemplaires), et Au fil des routes de la soie, collectif (5 000 exemplaires). Quels sont les livres dont vous êtes le plus fier ? Les livres à paraître. Notre état d’esprit de voyageurs nous incite à porter le regard en avant plutôt qu’à être satisfaits ou à avoir des regrets. Quel est, selon vous, le rôle d’un éditeur, aujourd’hui, dans notre société si friande de vitesse, de consommation rapide, de produits jetables? Plutôt que de concevoir des produits, notre mission est de rendre publique la démarche d’auteurs engagés et sincères qui refusent la surmédiatisation et le sponsoring, de publier des textes qui soient reconnus comme des ouvrages de fonds. Et demain? Pensez-vous que le livre électronique a de l’avenir? Si oui, quelle rôle un éditeur comme vous pourra-t-il jouer? Affaire à suivre… Alors revenons au début: comment cette histoire a-t-elle commencé? Transboréal fut le nom du projet d’Émeric Fisset, le fondateur de Transboréal. De retour de voyage, il créa sous ce nom, en 1994, la maison d’édition qui, au fil des ans depuis 1998, s’est ouverte à plus de 50 autres auteurs. Comment définissez-vous la ligne éditoriale de votre maison d’édition? Transboréal est une maison d’édition indépendante qui veut promouvoir le travail d’auteurs, d’illustrateurs et de photographes ayant fait preuve d’abnégation ou de courage lors d’études ou de voyages au long cours marqués par une réelle connivence avec le milieu humain ou le monde naturel. Quelle est la place de la littérature de voyage? 99 % du catalogue. Pourquoi publier des récits de voyages? Pour donner envie de fraterniser avec le voisin, pour informer sur ce qui se passe de l’autre côté de la clôture, de la frontière. Pour convaincre qu’ailleurs est meilleur que demain, qu’il y a une alternative humaine au système productiviste. Le récit de voyage peut être porteur d’un message de fraternité et d’anti-conformisme. Quels sont vos projets? Nous lançons à la rentrée d’octobre 2008 une nouvelle collection, «Petite philosophie du voyage», qui donnera un ton plus littéraire à notre maison d’édition, jusqu’à présent caractérisée par les récits d’aventure et les monographies géographiques. Dans ces textes concis, des auteurs passionnés s’exprimeront sur leur sujet de prédilection et livreront les clés de l’enseignement qu’ils ont su en tirer après des années de recherche et d’expérience. Nous espérons renouer là avec les sources de l’aventure, la motivation profonde de chaque voyageur, qui est de se découvrir. Dans la collection «Sillages», nous espérons publier des textes à caractère plus ethnographique. Le récit d’aventures doit se renouveler, s’enrichir de ce que les sciences ont à apporter… Parlez-nous de votre dernière collection? Lancée en octobre 2007, la collection «La clé des champs», qui compte déjà six titres, s’enrichira en octobre 2008 du titre Himalaya, Un voyage musical, de Tullio Rizzato et Carine Rochez. Le livre comportera de nombreux textes, une centaine de photos ainsi qu’un CD d’une quarantaine de plages (musiques et ambiances sonores). À terme, il nous plairait de publier un livre- disque par zone géographique en donnant la parole à d’autres voyageurs ou à des ethnomusicologues qui ont pris le temps de collecter des musiques et qui ont à cœur d’en parler.