Le Silence des glaces – Patrick Breuzé + entretien + bibliographie

Patrick Breuzé a collaboré à de très nombreux titres de la presse écrite avant de choisir de poursuivre sa carrière comme journaliste indépendant. Grand voyageur, passionné de montagne, il a parcouru ou exploré de nombreux pays. Il vit depuis 1995 dans un petit village de Haute-Savoie. Séduit par cette région, Patrick Breuzé lui rend hommage à travers ses romans.

Patrick BREUZÉ – Le Silence des glaces

Ça commence très fort. Premier chapitre : le récit d’une course en montagne. Les conditions ne sont pas bonnes. On a un pressentiment. Qui s’avère. L’accident. La chute dans le ravin, dans le torrent. Mais où sont passées la mule et la cliente? Suspens. Voir au chapitre suivant. Et le reste à l’avenant. Posologie : un chapitre par soir. Ne pas ingurgiter en une seule fois malgré l’envie. Les ingrédients : une course en montagne qui n’aurait pas dû partir. «Bon Dieu de bon Dieu, explosa Cyprien, partir d’un temps pareil… et sans prévenir!» Une «connerie pas pardonnable», entre des grandes gueules, des «gueules d’empeignes», à «la tête mouillée de chaud», qui ponctuent leur discours «d’un jet de salive dont on ne saurait dire s’il était de bile ou de venin», du montagnard, pur cru local, et d’autres, qui ne sont pas d’ici. Entendez: qui ne sont pas nés dans la vallée, et qui sont selon le cas, «petit et chauve, d’une fausse jovialité et d’une vraie bêtise» ou  escogriffe un peu voûté, au visage osseux et au nez camus finissant par deux grosses narines touffues.» Et puis bien sûr l’appât du gain qui, dans ces régions, est matérialisé par les cristaux que l’on trouve difficilement et dont il faut partager la vente avec la communauté. A moins de tricher et de ne pas se faire prendre la main dans le… four. Car devenir riche en une demi journée grâce à ces cavernes d’Ali Baba, ces four à cristaux de quartz fumés «hauts de quelques centimètres, pointus, hérissés les uns contre les autres, pareils à des lances de grenadiers format le carré», quête des cristalliers, est bien tentant. En face de cette tentation le romancier place le guide et son honneur. Des cristaux on peut en trouver tous les jours. Mais l’honneur… Ce sentiment que «si tu ne l’entretiens pas, il s’étiole et meurt pas les racines. Un beau mati tu te réveilles et t’as plus rien!» Ces hommes d’honneur, ces surhommes s’il le faut, vont créer l’une des premières compagnies de guides. En suivant ces guides, ces «paysans montagnards» et leur histoire, nous apprendrons qu’en montagne le silence n’est pas présent partout. Les torrents grondent, les avalanches dévalent, «Chaque bruit avait sa place, son écho, son rythme.» La montagne a aussi des couleurs à nul autre pareil. «La masse sombre des montagne commencerait à pâlir et perdrait du même coup cette teinte d’encre, lourde et pesante.» Et plus loin (ou plus tard): «Le ciel s’était teinté de transparence. Aux lueurs blanchâtres des premiers instants de l’aube avait succédé un bleu plus clair parcouru de vapeurs rosées.» Patrick Breuzé est un écrivain, il est aussi devenu un poète de la montagne. «Le jour finissait de vivre, étouffé par des pans de nuit de plus en plus lourds. En silence se livrait l’éternel combat de l’ombre et de la lumière. Déjà, en lisière de bois, le long des talus, au creux des combes, des cernes couleur de suie annonçaient la fin d’une bataille dont l’issue était toujours la même.» Dans cette belle et palpitante histoire, sans violence inutile, sans trop d’effets (alors que l’on pouvait craindre une avalanche de vengeance et de sacrifices), sans fin spectaculaire, dans ce «roman de terroir» au bon sens du terme, Patrick Breuzé mêle la vie quotidienne et ordinaire d’une région de Savoie en 1865 avec l’histoire, les événements, les histoires extraordinaires, les personnages réels du passé, comme le célèbre Jacques Balmat. Un récit à emporter dans le sac à dos lors d’un balade vers Sixt et le cirque du Fer à Cheval. Les premières lignes. « Village de Sixt, Alpes du Nord, 1865. Par habitude, les trois hommes se signèrent au passage de la croix de Saint Ferdinand. Trois mains, un même mouvement qui descendit du front au poitrail, marqua un temps, puis effleura la pointe de chaque épaule. Ainsi fait, l’ascension était bénie et, si Dieu ne s’y opposait pas, se déroulerait selon la volonté des hommes. » Presses de la cité. Repris en Pocket 2006.

Entretien avec Patrick Breuzé

E.V. Innfo – Vous écrivez que vous avez volontairement laissé une existence citadine et plus ou moins tracée pour une vie plus aventureuse. Ce qui vous a conduit dans ce village de Haute-Savoie. Auriez-vous pu arriver dans un autre endroit – campagne, bord de mer – ou bien quelque chose vous attirait-il vers la montagne ? P.B. Les histoires que j’écris sont universelles et comme telles peuvent se dérouler dans d’autres décors. Il se trouve néanmoins que je n’ai jamais trouvé autant d’éléments stimulants qu’à la montagne pour construire les décors de mes romans. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement des décors mais des choses de la vie, des attitudes, de la manière de s’exprimer ou de ne pas le faire. Ce qui est sûr c’est que la montagne restera longtemps encore le lieu de prédilection dans lequel se dérouleront mes romans. Fiers, insoumis (au moins à l’époque qui est celle de la plupart de vos romans) sont les montagnards. Y a-t-il des raisons plus qu’ailleurs ? Lesquelles ? Dans la vallée où je suis installé qui est aussi le théâtre de mes romans, les habitants ont souvent vécu replié durant les moins d’hiver. Quand survenait un drame de la vie, un accident, une avalanche, une épidémie, il n’avait souvent d’autre secours que ceux qu’ils organisaient eux-mêmes. Cela a donné des personnalités fières et indépendantes qui n’entendent pas que l’on vienne leur  expliquer comment est la vie. Ce que je raconte il y a un siècle et demi reste vrai pour un certain nombre d’entre eux. Attention toutefois à ne pas commettre un contresens, en pensant que les montagnards restaient tous enfermés dans leur vallée. Ils voyageaient énormément, en particulier ceux venus de la vallée du Haut Giffre. Tailleurs de pierre réputés , ils ont participé à tous les grands chantiers d’Europe. Vous avez du style, la verve propre à quelques grands écrivains (que je ne nommerai pas mais que l’on pourra deviner). Quels sont vos goût littéraires, vos influences ? Quels livres de chevet ? Ou quel livre avez-vous emporté dans votre cas à dos lors de votre dernière balade en montagne ou ailleurs ? Elles sont nombreuses ces influences bien évidemment. Elles se sont croisées au fil des années,  au fil des rencontres, des découvertes. Mais s’il y a quelques noms à donner, incontestablement viendra en tête Jean Giono. Puis Bernard Clavel, Maurice Genevois mais aussi Julien Gracq, Balzac, Zola, Maupassant, Flaubert, Colette autant d’auteurs que je relis en permanence sans jamais me lasser. Actuellement mes livres de chevet ( car j’en ai toujours plusieurs en cours de lecture): Jean Giono “Triomphe de la Vie”, Teilhard de Chardin: “la Place de l’homme dans la Nature” et “La Banquise” de Chabrol. Je n’emporte jamais de livre avec moi en montagne ou en ballade, je m’imbibe de ce que je vois. Le prochain livre : toujours la montagne ? En direz-vous quelques mots ? Oui toujours sur la montagne mais à une époque un peu plus contemporaine. Sans doute les années cinquante.

La Malpeur

Le point de vue de l’éditeur – Dans la Haute-Savoie secrète et rebelle de la deuxième moitié du XIXe siècle, le combat fou d’un montagnard, aidé par celle qu’il aime, pour faire face à une justice aveugle. Bertin Peillonnex n’est pas de ceux qui se laissent faire sans mot dire. Lorsqu’un envoyé de la préfecture vient lui ordonner d’abattre son troupeau en raison d’une épidémie de peste bovine qui menace la région, son sang ne fait qu’un tour. Fou de rage, il se barricade dans sa ferme, prêt à en découdre avec quiconque osera toucher à ses « reines », des vaches de combat qui sont sa fierté. Seule Jacquemine saura le convaincre de s’enfuir dans les alpages, en pleine tempête de neige, afin de mettre ses bêtes à l’abri. Aidés de quelques montagnards rebelles, poursuivis par les autorités, ils entament alors un épuisant périple, au péril de leur vie… Dans ce récit bouleversant où se mêlent l’aventure et la passion, Patrick Breuzé fait la chronique de vies fières et insoumises, rythmées par les croyances et les superstitions, avec, en point d’orgue, un remarquable portrait de femme. Presses de la Cité 2007.

La Grande avalanche

Le point de vue de l’éditeur – Été 1917. Blessé après un assaut contre l’ennemi, Adelin Jorrioz revient dans son village natal de Haute-Savoie pour cinq semaines de convalescence. Là, il retrouve le goût de vivre auprès des siens et de sa montagne. Mais il sait que son retour au front approche… Alors qu’il est parti seul dans les hauteurs, une avalanche se déclenche. Désormais trop familier du danger, Adelin prend des risques insensés et chute dans un précipice dont il réchappe miraculeusement grâce à un vieux montagnard. Les jours passent dans un refuge coupé du monde. Dès lors un terrible dilemme s’offre à lui : doit-il tenter le retour au village et rejoindre les combats ou laisser croire à sa disparition? Presses de la Cité 2005. Repris en Pocket.

La Vallée des loups

Lisez donc ces petits chefs-d’œuvre savoyards. Cela vous prendra juste le temps de vous émerveiller. Ici, les pierres moussues roulées dans les torrents ont des vies antérieures, les mules, des états d’âme, les médecins, des destinées qu’épargne enfin la terrible logique de la Science. Ici, les êtres sont à leur juste place, au bistrot, à la ferme, dans les grandes solitudes montagnardes, face aux éléments avec lesquels il faut en permanence discuter, négocier, ruser. Disponible chez l’auteur.
Rendez-vous et pistes de lecture
Un récit, La Vallée des loups / Patrick Breuzé

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